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1Monseigneur, j’ay receu les vostres que dernièrement vous a pleu m’envoier faisantz
2mention de la cure de Villette et suis marry de la fascherie et rompement
3de teste qu’en avés. Néantmoins, m’ay persuadé vous déclairer la
4tragédie tout du long et à la vérité, vous priant vouloir le tout prendre
5à la bonne part et vous asseurant ne vous escripre plus ne à vous ne
6à aultre de ceste affaire, aiant faict mon debvoir se me samble, en
7faisant entendre la querele de Dieu et de son Eglise à ceux à quy
8appartient de la défendre ; et pour venir à la narration de ladicte
9tragédie, il vous plaira entendre qu’environ le commencement du mois
10de mars dernier passé, s’adressa à nostre maison ung de Sainct
11Laurens nommé Genton, frère à Bonaventure Gallifet dudict S. Laurens
12et par luy envoié pour nous supplier de bailler la cure dudict Villette
13à l’un d’eux trois frères, toutesfois en faveur d’un pupille, filz d’un de
14leurs cousins jadis trespassé, auquel je feis responce que nul des trois
15n’estoit capable de tenir cure car les deux comme je pense suivent les armes
16et l’aultre le labeur et que le concile de Trente, ensamble les droictz
17nous défendoient de présenter gens qui ne fussent qualifiés et
18idoines pour exercer la charge des ames. Néantmoins, pour le bon
19vouloir qu’avions de leur faire plaisir pour l’amour de leur parens
20trépassés, j’estois content présenter quelque bon homme d’Eglise
21s’il le pouvoient trouver et si, apprès que le susdict pupille serait d’aage
22souffisant et que ledit homme d’Eglise luy voulsist résigner de son bon gré
23et sans convention simoniacque, je y consentirois et avec telle responce
24je renvoay ledit Genton. Le jour après, vint Bonaventure son frère,
25nous faisant pareille requeste, mais paradvant comme je suis bien adverty,
26ilz avoient efforcé le presbitaire de ladite cure et mis gens en garnison,
27ce que je ignorois pour lors, qui fust cause que luy feis pareille
28responce qu’à son frère. Alors, il me nomast ung messire Jean Bouvier,
29prestre de Sainct-Laurens, m’asseurant qu’il estoit homme de bien et
30souffisamment qualifié. Alors je luy dis que s’il estoit tel qui le
31disoit, je le présenterois à monseigneur le révérendissime évesque de
32Grenoble, purement et simplement et puis si après l’aage et souffisance
33du susdict pupille, il luy vouloit résigner, je m’y pourroit accorder
34et que ce pendant, je voulois estre adverty dudit messire Jean Bouvier,
35dont le lendemain, je receu lettres esquelles estoient escriptes les parolles
36ensuivantes : « Maistre Jean Bouvier est vieu et rompu et addonné aux femmes »,
37quoy aiant entendu, fus totallement dégousté conscientia ita dictante,
38et escripvis audit Bonaventure qu’il regardast d’en trouver ung plus
39capable et que je n’oserois consentir sana conscientia qu’il fust institué
40curé comme estant incapable ; et pource que ledit Bonaventure ne me
41présentois aultre capable et que le temps de présentation se passoit,
42craignant perdre le droict donné à la Maison de Chartreuse de
43[v°] présenter ladite cure, fus contraint de présenter ung nommé messire Claude
44Morin, lequel, vivant le curé dernier trespassé, avoit servy ladite cure
45et estoit agréable aux parrochiens et fut receu et institué par
46mondit seigneur révérendissime, mais, estant intimidé par lesdictz Gallifetz, n’osa prendre
47possession car le propre jour qu’il fust institué curé, fust rencontré
48dudit Bonaventure à Grenoble et luy dist en pleine rue que s’il eust
49sceu qu’il fust venu pour ceste affaire, luy eust baillé des escrimières
50et qu’il luy couperoit les jaretz s’il se présentoit à ladite cure et
51plusieurs aultre grosses parolles. Depuis, par deux ou trois fois, l’ont
52assally aux Eschelles, et entre aultre une fois luy ont faict demander
53pardon et prometre ce qu’ilz ont voullu. Je vous laisse penser et juger si
54ung bon et vray gentilhomme vouldroit faire tel tour. Pendant lequel
55temps, ont mis un pauvre curé ignorant de mauvaise vie et totalement
56incapable, nesciens discernere lepram a non lepra. Après quelque
57temps, se sont acostés d’ung apostat et par conséquent excommunié,
58cordelier de Moiran, lequel y est encores à mon grand regret.
59Voilà, monseigneur, le discours du susdict affaire à la vérité,
60vous asseurant que jamais ne feis aultre promesse que celle dessus
61escripte, ne ne vouldrois faire. Quand à plaider ny en parlement, ny par
62devant aultres particuliers juges, je n’en suis point d’advis, ny aultres
63particulières personnes, mais commetray l’affaire à Dieu et à ceulx
64qui y peuvent metre bon ordre, s’il leur plaist et d’aussy bon cueur que
65je vous prie vouloir ma prolixité et suppliray le Créateur
66Monseigneur, vous conserver en sa saincte grâce et vostre maison, me
67recommandant et nostre Ordre, très humblement à la vostre. De vostre
68maison de Chartreuse, ce 17 de juillet 1572.
69Votre très humble serviteur et orateur
70B prieur de Chartreuse