Consultation

XVIII, folios:15 16
Carasse, Bernard, dom, prieur de la Grande Chartreuse
M. de Gordes
Lettre non liée
17/07/1572
Grenoble
La Chartreuse

Transcription

Les mots surlignés font l'objet d'une note

1

Monseigneur, j’ay receu les vostres que dernièrement vous a pleu m’envoier faisantz

2

mention de la cure de Villette et suis marry de la fascherie et rompement

3

de teste qu’en avés. Néantmoins, m’ay persuadé vous déclairer la

4

tragédie tout du long et à la vérité, vous priant vouloir le tout prendre

5

à la bonne part et vous asseurant ne vous escripre plus ne à vous ne

6

à aultre de ceste affaire, aiant faict mon debvoir se me samble, en

7

faisant entendre la querele de Dieu et de son Eglise à ceux à quy

8

appartient de la défendre ; et pour venir à la narration de ladicte

9

tragédie, il vous plaira entendre qu’environ le commencement du mois

10

de mars dernier passé, s’adressa à nostre maison ung de Sainct

11

Laurens nommé Genton, frère à Bonaventure Gallifet dudict S. Laurens

12

et par luy envoié pour nous supplier de bailler la cure dudict Villette

13

à l’un d’eux trois frères, toutesfois en faveur d’un pupille, filz d’un de

14

leurs cousins jadis trespassé, auquel je feis responce que nul des trois

15

n’estoit capable de tenir cure car les deux comme je pense suivent les armes

16

et l’aultre le labeur et que le concile de Trente, ensamble les droictz

17

nous défendoient de présenter gens qui ne fussent qualifiés et

18

idoines pour exercer la charge des ames. Néantmoins, pour le bon

19

vouloir qu’avions de leur faire plaisir pour l’amour de leur parens

20

trépassés, j’estois content présenter quelque bon homme d’Eglise

21

s’il le pouvoient trouver et si, apprès que le susdict pupille serait d’aage

22

souffisant et que ledit homme d’Eglise luy voulsist résigner de son bon gré

23

et sans convention simoniacque, je y consentirois et avec telle responce

24

je renvoay ledit Genton. Le jour après, vint Bonaventure son frère,

25

nous faisant pareille requeste, mais paradvant comme je suis bien adverty,

26

ilz avoient efforcé le presbitaire de ladite cure et mis gens en garnison,

27

ce que je ignorois pour lors, qui fust cause que luy feis pareille

28

responce qu’à son frère. Alors, il me nomast ung messire Jean Bouvier,

29

prestre de Sainct-Laurens, m’asseurant qu’il estoit homme de bien et

30

souffisamment qualifié. Alors je luy dis que s’il estoit tel qui le

31

disoit, je le présenterois à monseigneur le révérendissime évesque de

32

Grenoble, purement et simplement et puis si après l’aage et souffisance

33

du susdict pupille, il luy vouloit résigner, je m’y pourroit accorder

34

et que ce pendant, je voulois estre adverty dudit messire Jean Bouvier,

35

dont le lendemain, je receu lettres esquelles estoient escriptes les parolles

36

ensuivantes : « Maistre Jean Bouvier est vieu et rompu et addonné aux femmes »,

37

quoy aiant entendu, fus totallement dégousté conscientia ita dictante,

38

et escripvis audit Bonaventure qu’il regardast d’en trouver ung plus

39

capable et que je n’oserois consentir sana conscientia qu’il fust institué

40

curé comme estant incapable ; et pource que ledit Bonaventure ne me

41

présentois aultre capable et que le temps de présentation se passoit,

42

craignant perdre le droict donné à la Maison de Chartreuse de

43

[v°] présenter ladite cure, fus contraint de présenter ung nommé messire Claude

44

Morin, lequel, vivant le curé dernier trespassé, avoit servy ladite cure

45

et estoit agréable aux parrochiens et fut receu et institué par

46

mondit seigneur révérendissime, mais, estant intimidé par lesdictz Gallifetz, n’osa prendre

47

possession car le propre jour qu’il fust institué curé, fust rencontré

48

dudit Bonaventure à Grenoble et luy dist en pleine rue que s’il eust

49

sceu qu’il fust venu pour ceste affaire, luy eust baillé des escrimières

50

et qu’il luy couperoit les jaretz s’il se présentoit à ladite cure et

51

plusieurs aultre grosses parolles. Depuis, par deux ou trois fois, l’ont

52

assally aux Eschelles, et entre aultre une fois luy ont faict demander

53

pardon et prometre ce qu’ilz ont voullu. Je vous laisse penser et juger si

54

ung bon et vray gentilhomme vouldroit faire tel tour. Pendant lequel

55

temps, ont mis un pauvre curé ignorant de mauvaise vie et totalement

56

incapable, nesciens discernere lepram a non lepra. Après quelque

57

temps, se sont acostés d’ung apostat et par conséquent excommunié,

58

cordelier de Moiran, lequel y est encores à mon grand regret.

59

Voilà, monseigneur, le discours du susdict affaire à la vérité,

60

vous asseurant que jamais ne feis aultre promesse que celle dessus

61

escripte, ne ne vouldrois faire. Quand à plaider ny en parlement, ny par

62

devant aultres particuliers juges, je n’en suis point d’advis, ny aultres

63

particulières personnes, mais commetray l’affaire à Dieu et à ceulx

64

qui y peuvent metre bon ordre, s’il leur plaist et d’aussy bon cueur que

65

je vous prie vouloir ma prolixité et suppliray le Créateur

66

Monseigneur, vous conserver en sa saincte grâce et vostre maison, me

67

recommandant et nostre Ordre, très humblement à la vostre. De vostre

68

maison de Chartreuse, ce 17 de juillet 1572.

69

Votre très humble serviteur et orateur

70

B prieur de Chartreuse

Loading...